Les troubles spécifiques d'apprentissage
du langage écrit : dyslexies et dysorthographies
Monique Plaza, Docteur en psychologie, Hôpital de la Salpétrière, Paris
Chargée de recherches CNRS
Texte extrait du dossier consacré aux troubles d’apprentissage
sous le titre “Les troubles d’apprentissage chez l’enfant, un problème
de santé publique ?”
Revue ADSP (Actualité et Dossier en Santé Publique) n° 26, Mars 1999,
p. 33-34 ; revue trimestrielle du Haut Comité de la Santé Publique
télécharger le dossier :
http://www.hcsp.ensp.fr/hcspi/explore.cgi/adsp?clef=48&menu=111282 Les troubles du langage écrit peuvent être qualifiés de spécifiques ou de non spécifiques. Ils ne sont pas spécifiques (a) lorsqu'ils apparaissent chez des enfants qui présentent des retards de développement dus à des déficiences intellectuelles, à des troubles neuropsychologiques d'étiologie cérébrale, sensorielle ou métabolique, à des troubles psychopathologiques sévères, ou (b) lorsqu'ils sont associés à une sévère déprivation sociale et culturelle. Ils sont spécifiques lorsqu'ils apparaissent chez des enfants qui ne présentent ni déficience intellectuelle, ni problèmes psychopathologiques, ni trouble sensoriel, ni déprivation socio-culturelle. C'est la deuxième catégorie, celle des troubles spécifiques, que nous évoquerons ici.
Les troubles spécifiques du langage écrit affectent, en France, 5 à 6% des enfants scolarisés.
Il s'agit donc d'un véritable problème de santé publique. Dans la mesure où la lecture et la transcription ont une fonction fondamentale dans les apprentissages scolaires, les désordres qui affectent ces compétences ont des répercussions très importantes sur la scolarité des enfants. Or l'Ecole ne connaît pas, et n'identifie pas, ces problèmes, qu'elle tend à expliquer par un manque de maturité, par la paresse, par des difficultés psychologiques ou par la déficience intellectuelle. Par ailleurs, les structures de Santé habilitées à diagnostiquer et traiter les troubles du développement des enfants ont souvent une interprétation psychologique des difficultés d'apprentissage, qu'elles n'évaluent pas d'une manière complète, et auxquelles elles apportent des réponses thérapeutiques peu ou mal adaptées (des psychothérapies). Les enfants présentant ces troubles spécifiques d'apprentissage ne trouvent finalement une réelle prise en charge de leurs difficultés que dans le cadre des rééducations orthophoniques hebdomadaires dont ils bénéficient, ce qui est loin d'être suffisant.
Les troubles spécifiques du langage écrit ont été définis ces dernières années grâce à l'avancée des sciences cognitives, de la neuropsychologie, et des connaissances sur le développement de l'enfant. Ils peuvent prendre plusieurs formes, selon le domaine ou la stratégie qu'ils affectent.
La théorie du développement de la lecture la plus communément admise par les chercheurs, décrit trois phases dans l'acquisition de la lecture et de l'orthographe.
La première phase, qui est en fait une phase de pré-lecture, permet à l'enfant de reconnaître un nombre limité de mots (jusqu'à une centaine) qu'il a en quelque sorte “photographiés” et qu'il identifie à partir de quelques indices visuels. Cette phase est appelée “logographique” car l'enfant a une approche très globale et très approximative des mots, dont il ne connaît pas les unités (lettres et syllabes).
La deuxième phase consiste pour l'enfant à apprendre les correspondances entre les lettres ou groupes de lettres et les sons, à identifier et associer consonnes et voyelles, à séparer et lier les syllabes. Cette deuxième phase, qui est appelée “alphabétique”, est très importante dans le cadre des langues alphabétiques comme le français, car elle donne à l'enfant la possibilité de découvrir le code qui lui permettra de déchiffrer, et de transcrire, la plupart des mots de la langue.
La troisième phase consiste pour l'enfant, qui maîtrise les préalables de la stratégie alphabétique, à identifier, stocker et transcrire les mots sous la forme stable d'unités orthographiques. Elle est appelée " phase orthographique ".
Les travaux neuropsychologiques concernant l'acquisition de la lecture et de l'orthographe ont montré, d'une manière tout à fait convergente avec cette théorie développementale, que nous utilisons deux voies pour lire et transcrire des mots.
La première voie consiste à identifier les correspondances entre les lettres et les sons, à segmenter les mots en petites unités, puis à les assembler. Cette voie, ou stratégie de lecture, est appelée l’ "assemblage ". Pour la tester chez des enfants ou chez des adultes (qui ont perdu la compétence en lecture après des lésions ou des accidents affectant le cerveau) on leur fait lire des mots qui n'existent pas et qu'ils n'ont pu donc stocker en mémoire (on les appelle des “logatomes”). On ne peut lire ces mots sans utiliser les correspondances lettres/sons et utiliser la voie de l'assemblage.
La deuxième voie consiste à identifier le mot comme une forme précise et stable, sans passer par l'assemblage. Cette voie est appelée l’ " adressage ", car l'on s'adresse en quelque sorte directement au mot stocké dans le lexique orthographique. Pour la tester, on présente à l'enfant ou à l'adulte des mots irréguliers qui échappent à la correspondance entre les lettres et les sons ("femme" se lit "fame", "oignon" se lit "ognon"). Les enfants et adultes qui passent par la voie de l'assemblage lisent ces mots sans les reconnaître, comme s'il s'agissait de mots n'existant pas.
Lorsque la phase alphabétique et la voie de l'assemblage ne sont pas maîtrisées, l'enfant ne parvient pas à automatiser les règles de fonctionnement du code alphabétique et, du même coup, il accède avec difficulté à la phase orthographique et à la voie de l'adressage.
Lorsqu'il déchiffre des mots, il tente de faire correspondre lettres et sons, à associer consonnes et voyelles, mais comme il maîtrise mal le code de référence, il fait des erreurs.
La plupart du temps, il essaie de "deviner" le mot à partir des quelques indices qu'il a constitués et il accède au sens des phrases en s'appuyant sur ce décodage partiel. Lorsqu'il écrit des mots, soit il tente de se souvenir des formes qu'il a en mémoire, soit il cherche à transcrire phonétiquement ce qu'il entend. Ses écrits sont souvent peu intelligibles.
Ce type de trouble est appelé “dyslexie-dysorthographie phonologique” ou “dysphonétique” puisque c'est la voie phonétique qui est affectée.
C'est le trouble dyslexique le plus fréquent (il représenterait environ 60%
des difficultés).
Certains enfants parviennent à maîtriser la voie de l'assemblage et la phase alphabétique, mais ils restent comme " fixés " à ce mode de lecture. Pour eux, les mots sont des agrégats de lettres et de sons, dont ils ne sont pas toujours capables de reconnaître le sens. La voie de l'adressage et la phase orthographique leur demeurent inaccessibles, entravant fortement la compréhension des énoncés.
Ce type de trouble est appelé “dyslexie-dysorthographie dyséidétique”
ou “de surface”. C'est un trouble moins fréquent (environ 20%).
Certains enfants, enfin, présentent des déficiences des deux voies de la lecture (assemblage et adressage). Leurs difficultés de lecture sont majeures, aboutissant à des tableaux de véritable “alexie”.
Ce type de trouble est appelé “dyslexie dysorthographie mixte”.
Les rééducations permettent à ces enfants de développer les secteurs défaillants, de renforcer les points forts et ainsi d'accéder à un certain mode de lecture efficace, mais elles ne suffisent pas. Les enfants qui présentent des troubles dyslexiques-dysorthographiques auraient aussi besoin de trouver, à l'intérieur de l'école, des soutiens pédagogiques spécifiques, ce qui n'est pas prévu en France pour le moment.
Pour les cas les plus graves, des institutions pédagogiques spécialisées sont nécessaires, mais elles sont très rares en France, et donc en liste d'attente.